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    05.02.2018

    Projet de loi de ratification de l’ordonnance portant réforme du droit des obligations : 3 questions au Professeur Thibierge


    Le 1er février 2018, le Sénat a adopté en deuxième lecture le projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des obligations.

    Le Professeur Thibierge nous livre son analyse.

    Où en sommes-nous du processus législatif ?

    Le cheminement du texte fut long et laborieux. Le Gouvernement avait obtenu de la précédente législature l’autorisation de procéder par voie d’ordonnances, pour gagner un temps précieux. Dans la pratique, plus de deux ans se seront écoulés entre l’adoption de l’ordonnance et sa ratification.

    Il est vrai que la plupart des commentateurs escomptait une ratification sèche du texte, tandis que les parlementaires ont vu l’occasion de se saisir d’un texte qui leur avait jusque lors échappé.

    Adopté en première lecture par le Sénat le 17 octobre 2017, le texte a été soumis à l’Assemblée nationale le 11 décembre 2017. Le 12 décembre, le projet amendé par l’Assemblée était renvoyé au Sénat.

    Celui-ci vient de se prononcer, en vue notamment d’un rapport du sénateur François Pillet, enregistré le 24 janvier 2017.

    Le 1er février 2018, le Sénat a adopté un projet de loi de ratification en deuxième lecture.

    Le texte témoigne de certains rapprochements avec l’Assemblée nationale, mais aussi de véritables pommes de discorde.

    La commission des lois de l’Assemblée nationale doit désormais se réunir. Les dates des 7 et 15 février prochains ont été retenues pour débattre du projet de loi de ratification.

    On peut espérer que la loi de ratification soit adoptée courant mars 2018.

    Quels sont les points de convergence des parlementaires ?

    Les sénateurs ont rejoint les députés sur de nombreux points.

    On en mentionnera trois.

    La réticence dolosive. En première lecture, le Sénat avait modifié l’article 1137 du Code civil pour subordonner la nullité à l’existence d’une obligation légale d’information préalable. Ce faisant, le Sénat boutait hors du champ de la réticence dolosive le silence gardé par l’acquéreur sur la valeur de la chose vendue (jurisprudence Baldus). L’Assemblée n’a pas retenu la proposition du Sénat mais a, par un autre biais, consacré une solution similaire. Si elle ne lie pas obligation d’information et réticence dolosive, elle exclut expressément du champ du dol le « fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ». Dans un esprit de compromis, le Sénat se range à l’avis de l’Assemblée ;

    La réduction du prix. Le Sénat estime que la rédaction proposée par l’Assemblée nationale améliore substantiellement la compréhension du dispositif. Le texte de l’article 1223 remanié précise désormais que le débiteur doit accepter par écrit la décision de réduction, et que le créancier qui a déjà payé le prix peut demander au juge une réduction judiciaire de celui-ci.

    Les délais raisonnables. En première lecture, le Sénat avait proposé d’encadrer le délai dans lequel le bénéficiaire d’un pacte de préférence doit répondre à une action interrogatoire. En l’état, l’article 1123 du Code civil évoque un délai raisonnable. Le Sénat suggérait de fixer ce délai à deux mois. En deuxième lecture, le Sénat se range à l’avis de l’Assemblée nationale : le délai restera « raisonnable ».

    Quels sont les points de désaccord ?

    Quatre points cristallisent l’opposition des sénateurs et des députés.

    La caducité de l’offre en cas de décès du bénéficiaire. En l’état, l’article 1117 du Code civil prévoit que l’offre devient caduque en cas de décès de l’offrant. En première lecture, les sénateurs ont modifié le texte. Estimant que l’offre ne se transmet pas aux héritiers, elle deviendrait également caduque en cas de décès du bénéficiaire. L’Assemblée nationale n’a pas retenu cette proposition, Sacha Houlié jugeant que « les héritiers peuvent avoir intérêt à conclure cette offre lorsque son destinataire est malheureusement décédé ». Le Sénat fait de la résistance, et maintient sa proposition.

    La définition du contrat d’adhésion. La définition du contrat d’adhésion suit un chemin long et tortueux. Au gré des lectures et sous l’influence du Gouvernement, on étudie à ce jour une troisième définition. De lege lata, l’article 1110 du Code dispose : « Le contrat d'adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ». En première lecture, le Sénat avait proposé d’abandonner le critère des « conditions générales », pour faire du contrat d’adhésion celui qui « comporte des clauses non négociables déterminées à l’avance par l’une  des parties ». On avait alors objecté au Palais-Bourbon que la définition serait trop large : dès lors que le contrat, fût-il un pacte d’actionnaires renfermant une clause compromissoire, contient une clause non-négociable, le régime dérogatoire de l’article 1171 s’appliquerait. L’Assemblée nationale avait alors proposé de définir le contrat d’adhésion comme celui « qui comporte des conditions générales au sens de l’article 1119 », lequel prévoirait que les « conditions générales sont un ensemble de stipulations non négociable, déterminé à l’avance par l’une des parties et destiné à s’appliquer à une multitude de personnes ou de contrats ». De nouveau, l’on s’est ému : à partir de combien forme-t-on une « multitude » ? D’où une nouvelle proposition du Sénat, sous l’impulsion du Gouvernement : le contrat d’adhésion serait défini comme celui « qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ».

    L’abus de dépendance. N’y a-t-il de dépendance qu’économique ? La question continue d’agiter la navette parlementaire. Dans sa version originelle, l’article 1143 du Code civil rattache au vice de violence l’exploitation abusive de « l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant ». Rien ne définit l’état de dépendance, condition déterminante de l’application de l’article 1143. En première lecture, le Sénat avait entendu restreindre la dépendance à un critère économique, rejoignant en cela la jurisprudence de la Cour de cassation, découlant notamment de son arrêt Larousse Bordas. La commission des lois de l’Assemblée nationale se montrait plus fidèle à l’esprit du texte de 2016, et rejetait la proposition sénatoriale. La dépendance peut, pensent les députés, être tout aussi bien économique que psychologique, affective, familiale… Il n’est pas certain qu’on doive la cantonner à la seule dépendance économique. Le Sénat avance en deuxième lecture une proposition médiane. Il renonce au critère économique, mais ajoute une précision à l’article 1143 : la dépendance doit s’apprécier à l’égard du cocontractant. Ainsi, la dépendance s’entendrait strictement, dans la relation contractuelle de Primus  à Secondus, et non dans l’absolu. Elle se distinguerait de la vulnérabilité.

    La révision judiciaire pour imprévision. Le point est sensible. Le Sénat refuse coûte que coûte la révision judiciaire du contrat pour cause d’imprévision. S’il a abandonné l’idée de s’opposer à une renégociation du contrat en cas d’imprévision, le Sénat ne veut pas laisser le juge refaire la chose des parties. Son pouvoir serait cantonné à prononcer la résiliation du contrat. Pour le rapporteur Pillet, « contraindre l’une des parties à poursuivre l’exécution d’un contrat selon des termes qui auraient été profondément modifiés contre sa volonté – conséquence mécanique de la révision judiciaire telle que prévue par l’article 1195 du code civil – est éminemment discutable ». L’Assemblée nationale ne partage pas cette opinion, pourtant non dénuée de sens (v. également L. Thibierge, Le contrat face à l’imprévu). Elle a rétabli le pouvoir de révision judiciaire, que le Sénat vient en deuxième lecture de supprimer.

    Il serait temps que ce casus belli soit tranché. La deuxième lecture à l’Assemblée nationale, voire la réunion d’une commission mixte paritaire, sera sans doute l’occasion d’aplanir ces quelques difficultés et de promouvoir un nouveau droit des contrats qui, enfin, remplisse l’objectif de sécurité juridique qu’on lui a assigné.

    Agrégé des Facultés de Droit, Louis Thibierge est Professeur à l’Université Aix-Marseille et Membre du Centre de Droit Economique de l’Université Aix-Marseille.

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