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    31.03.2016

    Loi Sapin 2 : encore de nombreuses questions


    Le 30 mars 2016, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a été présenté en conseil des ministres. Depuis des années, la France ne cesse en effet d’être pointée du doigt pour son prétendu laxisme et cette situation paradoxale fait encourir aux entreprises françaises un risque transnational considérable. Le système de lutte contre la corruption a donc été repensé mais laisse encore en suspens de nombreuses questions.

    La prévention de la corruption deviendra une obligation

    Le projet de loi crée l’obligation de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France et à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence. L’obligation s’imposera aux présidents, directeurs généraux et gérant de sociétés, mais également membres du directoires de SA selon leurs attributions respectives, employant au moins 500 salariés ou appartenant à un groupe de sociétés dont l’effectif comprend au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros. Cela représenterait 1570 sociétés en France, lesquelles ont cependant déjà pour la plupart adopté des systèmes de prévention.

    Les principales mesures de prévention imposées sont les suivantes

    • Un code de conduite ;
    • Un dispositif d’alerte interne ;
    • Une cartographie des risques régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition et sollicitation externes ;
    • Des procédures d’évaluation des clients, fournisseurs et intermédiaires ;
    • Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes ;
    • Un dispositif de formation des cadres et personnels les plus exposés ;
    • Un régime de sanction disciplinaire.

    Une nouvelle Agence de prévention pourra enquêter et sanctionner

    Les contrôles pourront être effectués par la nouvelle Agence nationale de prévention et de détection de la corruption sur son initiative ou sur demande des ministres de la Justice ou du Budget (articles 4 et 8). L’Agence, qui reprendra les services de l’ancien Service Central de Prévention de la Corruption dont les moyens financiers et humains seront accrus, pourra ainsi :

    • se faire communiquer tout document professionnel par les représentants de la société et en faire une copie
    • procéder à des vérifications sur place portant sur l’exactitude des informations fournies
    • s’entretenir, dans des conditions confidentielles, avec toute personne dont le concours lui parait nécessaire.

    A l’issue du contrôle, un rapport contenant des observations sur la qualité du dispositif et les recommandations visant à l’améliorer sera établi et transmis au ministre et à la société.

     

    En cas de manquement, et après mise en demeure, une commission des sanctions pourra être saisie et prononcée une amende de 200.000 euros pour les personnes physiques et jusqu’à un millions d’euros pour les personnes morales. Elle pourra également ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de la décision. 

    La dénonciation et la répression de la corruption seront facilitées

    Le projet Sapin 2 étend la protection du lanceur d’alerte au secteur financier comme dans le cadre des abus de marché (article 7). Dans le prolongement des précédentes lois sur le droit d’alerte, il confie également à la nouvelle Agence une mission d’accueil, d’orientation et de protection des lanceurs d’alerte (article 6).

     

    Après vérification, l’agence pourra même reprendre les signalements à son compte et transmettre les informations à la justice permettant ainsi d’anonymiser la dénonciation originelle.

     

    En cas de condamnation pour des faits de corruption ou de trafic d’influence, le projet crée une peine complémentaire de mise en conformité, exécutée sous le contrôle du Procureur de la République, et comportant l’obligation pour la personne condamnée de mettre en place un système de vigilance (article 9). Le non respect de cette peine sera constitutif d’un nouveau délit pénal.

     

    Le contrôle de la mesure ne pourra pas excéder 5 ans et le Juge d’application des peines pourra y mettre fin avant sur demande du Procureur de la République.

    Les faits commis à l’étranger seront sanctionnés

    Le projet prévoit l’extension de l’application territoriale du droit pénal français. Il crée également l’infraction de trafic d’influence d’agent public étranger et prévoit la possibilité de condamner des étrangers résidant habituellement en France pour des faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger (article 12).

    Il manque des points essentiels pour lutter efficacement contre la corruption

    Alors que les attentes des acteurs du monde économique et judiciaire étaient fortes, nous regrettons cependant que :

    • à la suite de l’avis du 24 mars 2016 du Conseil d’Etat, le projet de loi ne contienne plus les éléments sur la création d’une forme de transaction pénale appelée Convention de compensation d’intérêt public, envisagée à l’aune des travaux avec les représentants du monde de l’entreprise
    • aucune réflexion n’ait été amorcée afin de moderniser la procédure pénale en matière économique et financière s’agissant par exemple de l’actuel plaider-coupable[1]
    • les droits de la défense ou la place d’un juge, garant des libertés, ne soient pas véritablement abordés alors même que l’autorité administrative se voit dotée de nouveaux pouvoirs d’enquête et de sanctions ;
    • les systèmes vertueux de compliance ne soient pas plus valorisés en cas de détection de faits isolés
    • rien n’ait été imaginé en termes de modulation de la gravité et du type de peine prononcée, de conditions liées à la récidive de la personne morale et de suppression d’une automaticité de l’exclusion des marchés publics.

    Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique constitue un risque et un défi dont les entreprises françaises vont devoir continuer à se saisir le temps des débats parlementaires.

     

    Caroline Diot

     

    [1] Sur ce point, voir l’article « Corruption, la France réagit enfin ! » par Caroline Diot et Fabien Pouchot http://www.advant-altana.com/medias/corruption-la-france-reagit-enfin

     

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