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    01.07.2025

    A la (re)découverte des instruments de recouvrement transfrontalier de créances (partie 2) : l’Injonction de Payer Européenne


    Par Benjamin Dors, Associé

    "Le recouvrement rapide et efficace des créances qui ne font l’objet d’aucune contestation juridique revêt une importance primordiale pour les opérateurs économiques de l’Union européenne, car les retards de paiement sont une des principales causes d’insolvabilité, qui menace la pérennité des entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises, et qui provoque de nombreuses pertes d’emplois[1]".

    Tel est le constat qui, il y a près de vingt ans, a incité le législateur européen à mettre à disposition des justiciables des Etats membres des instruments visant à faciliter le recouvrement des créances pécuniaires liquides et exigibles dans les litiges transfrontaliers au sein de l’Union européenne.

    De cette volonté est né le Règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer (« Règlement IPE »), entré en vigueur le 12 décembre 2008, instaurant une procédure simplifiée, uniforme et rapide, permettant aux créanciers de recouvrer leurs créances dans toute l’UE[2], tout en garantissant des délais de traitement réduits et une réduction des coûts liés aux procédures transfrontalières.

    A l’instar de l’Ordonnance Européenne de Saisie Conservatoire des Comptes Bancaires (OESC)[3], l’Injonction de Payer Européenne (IPE) vise à instaurer un cadre procédural harmonisé en matière de recouvrement transfrontalier. 

    L’objet du Règlement IPE[4] est double, puisqu’il vise : 

    • d’une part, à simplifier, accélérer et réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer; et 

    • d’autre part, à assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

    L’objet de cet article est de présenter le cadre juridique et le régime de cet instrument de recouvrement transfrontalier, encore méconnu, à la disposition des créanciers européens.

    Portée et Application

    L’IPE s’applique en matière civile et commerciale dans les litiges transfrontaliers, quelle que soit la nature de la juridiction concernée. 

    Le Règlement exclut cependant certains domaines tels que les matières fiscales, douanières ou administratives, la responsabilité de l’État pour des actes ou omissions découlant de l’exercice de la puissance publique, les régimes matrimoniaux, les faillites, la sécurité sociale ou les créances découlant d’obligations non contractuelles, sauf si elles ont fait l’objet d’un accord entre les parties ou d’une reconnaissance de dette ou qu’elles concernent des dettes liquides découlant de la propriété conjointe d’un bien[5].

    Le Règlement ne s’applique que dans le cadre d’un « litige transfrontalier », défini comme celui dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie de la demande d’IPE[6].

    L’IPE est conçue comme un moyen supplémentaire et facultatif pour le créancier, qui reste libre de recourir à toute autre procédure pour obtenir une mesure équivalente en vertu du droit national[7].

    Compétence

    La compétence pour délivrer une IPE est déterminée par l’article 6 du Règlement, qui pose le principe selon lequel la compétence est déterminée conformément aux règles du droit communautaire, notamment le Règlement (UE) n° 1215/2012 (Règlement Bruxelles I bis). 

    Par exception, si le défendeur est un consommateur, la compétence appartient aux seules juridictions de l’Etat membre où le défendeur a son domicile[8].

    En parallèle, il appartient à chaque État de déterminer quelle juridiction est compétente sur son territoire.

    Créances pouvant faire l’objet d’une IPE

    Seules peuvent faire l’objet d’une IPE les créances qui sont à la fois : 

    • pécuniaires, liquides et exigibles à la date à laquelle la demande d’injonction est introduite : autrement dit, le Règlement ne s’applique pas aux obligations de faire et de ne pas faire ; et

    • incontestées par le débiteur.

    Il faut en revanche noter que le Règlement ne prévoit pas de plafond au montant de la créance pouvant faire l’objet d’une IPE, qui peut donc être substantiel.

    Procédure

    La demande d’IPE est introduite par le créancier auprès de la juridiction compétente par une requête unilatérale et non contradictoire (ex parte), au moyen d’un formulaire uniforme (figurant en annexe du Règlement)[9].

    Contenu de la demande

    La demande doit contenir un certain nombre d’éléments de nature à identifier précisément la créance et permettre, le cas échéant, au défendeur d’y faire opposition. Doivent ainsi être précisés[10] : 

    a) le nom et l’adresse des parties, et le cas échéant de leurs représentants, ainsi que de la juridiction saisie de la demande;

    b) le montant de la créance, notamment le principal et, le cas échéant, les intérêts, les pénalités contractuelles et les frais; 

    c) si des intérêts sont réclamés sur la créance, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés, sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l’État membre d’origine; 

    d) la cause de l’action, y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés; 

    e) une description des éléments de preuve à l’appui de la créance. En revanche, le Règlement n’exige pas de fournir les éléments de preuve de la créance en tant que tels, mais seulement une description de ces éléments.

    f) les chefs de compétence; et 

    g) le caractère transfrontalier du litige.

    Examen de la demande

    Pour délivrer une IPE, la juridiction procède à l’examen de la demande « dans les meilleurs délais »[11].

    La juridiction vérifie, sur la base des informations fournies par le créancier dans sa demande, que toutes les conditions prévues par le Règlement sont bien remplies : nature transfrontalière du litige ; créance pécuniaire liquide et exigible, civile ou commerciale ; compétence de la juridiction saisie, formulaire correctement rempli, etc.[12].

    Si les conditions précitées ne sont pas toutes remplies, mais que la demande n’est pas manifestement non fondée ou irrecevable, la juridiction peut laisser au demandeur la possibilité de rectifier ou compléter sa demande, dans un délai qu’elle fixe[13]

    La juridiction peut également formuler une proposition de modification de la demande si les conditions ne sont que partiellement réunies[14]. Dans ce cas : 

    • Si le créancier accepte la proposition de la juridiction, l’IPE est délivrée et la procédure suit son cours, mais seulement conformément à la demande modifiée par le juge[15].

    • En revanche, l’absence de réponse du créancier dans le délai fixé ou le refus de la proposition de modification implique un rejet de la totalité de la demande[16].

    Si les conditions sont remplies, la juridiction délivre l’IPE « dans les meilleurs délais et en principe dans un délai de 30 jours à compter de l’introduction de la demande (hors délai nécessaire pour compléter, rectifier ou modifier la demande)[17].

    La juridiction sera en revanche amenée à rejeter la demande dans quatre cas[18] :

    • Si la demande ne remplit pas les conditions imposées.

    • Si la demande est manifestement non fondée.

    • Si le requérant n’a pas répondu à une demande d’informations complémentaires ou de rectification dans le délai fixé par la juridiction.

    • Si le requérant n’a pas répondu à une proposition de modification dans le délai fixé par la juridiction ou l’a rejetée.

    Aucun recours n’est ouvert contre la décision de rejet[19]

    En revanche, le créancier aura la possibilité de soumettre une nouvelle demande d’IPE ou d'opter pour toute autre procédure prévue par le droit d’un État membre[20].

     

    Notification de l’IPE

    Pour préserver les droits du débiteur, l’IPE doit lui être signifiée ou notifiée conformément aux règles du droit national du pays où la signification ou notification a lieu.

    L’IPE est transmise directement et dans les meilleurs délais entre les entités d’origine et les entités requises, selon un des modes prévus par le Règlement Signification[21], c’est-à-dire au moyen d’un système informatique décentralisé, sécurisé et fiable.

    Une fois sur le territoire requis, le Règlement définit les méthodes de notification possibles de l’IPE, selon qu’elle est assortie, ou non, d'une preuve de réception par le défendeur.

    S’agissant des modes de signification ou de notification avec preuve de réception[22], leur utilisation apporte la certitude que le défendeur a eu connaissance de l’acte, ou l’a refusé. 

    S’agissant des modes de signification ou de notification sans preuve de réception[23], pour compenser l’absence de garantie de réception effective de l’acte par son destinataire, le législateur européen a prévu une condition supplémentaire : leur utilisation n’est possible que si l’adresse du défendeur est certaine. 

    Dans un cas comme dans l’autre, la signification ou la notification peuvent aussi être faites à un représentant du défendeur[24].

     

    Opposition et Réexamen de l’IPE

    Si le défendeur conteste la dette qui lui est imputée par le demandeur, il peut former opposition à l’IPE auprès de la juridiction l’ayant délivrée[25], tant que celle-ci n’est pas encore exécutoire, c’est à dire dans un délai de 30 jours à compter de sa signification ou notification[26]

    Le débiteur n’est pas tenu de préciser les motifs de sa contestation, il doit seulement indiquer qu’il conteste la créance[27].

    L’opposition est introduite selon le moyen de communication accepté par l’État membre de délivrance de l’IPE (ex : support papier ou par voie électronique)[28]. En France, par exemple, l’opposition est formée devant le greffe de la juridiction française qui a rendu l’IPE, soit par déclaration contre récépissé ou par lettre recommandée[29].

    L’opposition a pour effet la poursuite de la procédure devant les juridictions compétentes de l’État membre d’origine de l’IPE, conformément aux règles de la procédure civile ordinaire interne[30].

    Toutefois, si le demandeur ne souhaite pas risquer d’exposer des frais dans le cadre d’une procédure ordinaire, il peut demander, dans le cadre de sa requête initiale d’IPE, qu’en cas d’opposition la procédure ne soit pas automatiquement poursuivie[31].

    Une fois le délai de 30 jours expiré sans qu’il ait été formé d’opposition, l’IPE devient en principe définitive.

    Le législateur européen a néanmoins prévu trois cas exceptionnels dans lesquels le défendeur, qui n’a pas été en mesure de faire opposition à l’IPE dans le délai imparti, peut solliciter un réexamen devant la juridiction compétente de l’État membre d’origine[32] : 

    • 1er cas: si l’IPE a été notifiée sans preuve de sa réception par le défendeur et dans un délai trop court pour permettre à ce dernier de préparer sa défense, sans faute de sa part[33].

    • 2ème cas : si le défendeur a été empêché de contester la créance pour cause de force majeure ou en raison de circonstances extraordinaires, là encore sans faute de sa part [34].

    • 3ème cas : s’il est manifeste que l’injonction de payer a été délivrée à tort, au vu des exigences fixées par le Règlement ou en raison d’autres circonstances exceptionnelles[35].

    Dans le cas où la juridiction rejette la demande de réexamen du défendeur, l’injonction de payer européenne reste valable et peut donc être exécutée. 

    En revanche, si la juridiction considère que le réexamen est justifié, l’injonction de payer européenne est nulle et non avenue[36].

     

    Exécution

    Sauf si le défendeur s’oppose, la juridiction ayant délivré l’IPE la déclare exécutoire « sans tarder »[37], après avoir vérifié la date à laquelle l’IPE a été signifiée ou notifiée.

    La juridiction envoie alors l’IPE exécutoire au demandeur.

    Une IPE devenue exécutoire dans l’Etat membre d’origine est reconnue et exécutée dans tous les États membres, sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance[38]. Autrement dit l’exécution de l’IPE dans un autre Etat membre ne requiert pas d’exequatur.

    Une IPE ne peut en aucun cas faire l’objet d’un réexamen au fond dans l’Etat membre d’exécution[39].

    En dernier recours, le défendeur pourra demander un refus de l’exécution de l’IPE, auprès de la juridiction compétente dans l’État membre d’exécution, dans deux hypothèses :

    • 1ère hypothèse : Si l’IPE est incompatible avec une décision ou une injonction antérieure, rendue dans tout État membre ou pays tiers, et que les trois conditions suivantes sont remplies : 

    1. La décision ou l’injonction antérieure a été rendue entre les mêmes parties, dans un litige portant sur la même cause, 

    2. La décision ou l’injonction antérieure réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre d’exécution, 

    3. L’incompatibilité n’aurait pas pu être soulevée au cours de la procédure judiciaire dans l’État membre d’origine. 

    • 2ère hypothèse : si le défendeur a déjà payé au demandeur le montant fixé dans l’IPE.

    Enfin, le Règlement prévoit une faculté de suspension ou de limitation de l’IPE dans l’hypothèse où le défendeur a sollicité un réexamen conformément à l’article 20[40]. Dans ce cas, le défendeur peut demander à la juridiction compétente dans l’Etat Membre de : 

    • limiter la procédure d’exécution à des mesures conservatoires, ou

    • subordonnant l’exécution à la constitution d’une sûreté qu’elle détermine, ou

    • dans des circonstances exceptionnelles, suspendre la procédure d’exécution.

    L’exécution se fera selon le droit de l’État membre d’exécution de l’IPE. Elle sera exécutée dans les mêmes conditions, et selon les mêmes procédures d’exécution, qu’une décision exécutoire rendue dans cet État[41].

     

    ***


    [1] Règlement IPE – Considérant n°6

    [2] A l’exception du Danemark et – avant le Brexit – du Royaume Uni

    [3] Cf. B. Dors, A la (re)découverte des Instruments de recouvrement transfrontalier de créances (partie 1) : l’Ordonnance Européenne de Saisie Conservatoire des Comptes Bancaires

    [4] Règlement IPE – Article 1.

    [5] Règlement IPE – Article 2.

    [6] Règlement IPE – Article 3.

    [7] Règlement IPE – Considérant n°10

    [8] Règlement IPE – Article 6(2).

    [9] Règlement IPE – Article 7

    [10] Règlement IPE – Article 7(2).

    [11] Règlement IPE – Article 8.

    [12] Règlement IPE – Article 8.

    [13] Règlement IPE – Article 9.

    [14] Règlement IPE – Article 10(1).

    [15] Règlement IPE – Article 10(2).

    [16] Règlement IPE – Article 10(3).

    [17] Règlement IPE – Article 12(1).

    [18] Règlement IPE – Article 11.

    [19] Règlement IPE – Article 11(2).

    [20] Règlement IPE – Article 11(2) et (3).

    [21] Règlement (UE) n° 2020/1784 du parlement et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale.

    [22] Règlement IPE – Article 13.

    [23] Règlement IPE – Article 14.

    [24] Règlement IPE – Article 15.

    [25] Règlement IPE – Article 16(1).

    [26] Règlement IPE – Article 16(2).

    [27] Règlement IPE – Article 16(3).

    [28] Règlement IPE – Article 16(4).

    [29] Code de procédure civile français – Article 1424-8.

    [30] Règlement IPE – Article 17.

    [31] Règlement IPE – Article 17.

    [32] Règlement IPE – Article 20.

    [33] Règlement IPE – Article 20(1.a).

    [34] Règlement IPE – Article 20(1.b).

    [35] Règlement IPE – Article 20(2).

    [36] Règlement IPE – Article 20(3).

    [37] Règlement IPE – Article 18.

    [38] Règlement IPE – Article 19.

    [39] Règlement IPE – Article 22.

    [40] Règlement IPE – Article 23.

    [41] Règlement IPE – Article 21.

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