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    11.01.2018

    Rapport Cadiet sur l’Open Data des décisions de justice : 3 questions au Professeur Louis Thibierge


    De quoi s’agit-il ?

     

    De la mise en œuvre de la loi pour une république numérique, dite loi « Le Maire », du 7 octobre 2016.

     

    Cette loi instaure la mise à disposition du public à titre gratuit (« Open Data ») de l’ensemble des décisions de justice.

    L’article 20 de la loi, relatif à l’ordre administratif, dispose que les « jugements sont mis à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées ».

    Quant à l’article 21, consacré à l’ordre judiciaire, il est plus précis, affirmant que « les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit dans le respect de la vie privée des personnes concernées. Cette mise à disposition du public est précédée d'une analyse du risque de ré-identification des personnes ».

    Le 9 mai 2017, le Garde des Sceaux chargeait le professeur Loïc Cadiet, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, de diriger les travaux d’une commission ad hoc, dont la mission tournait autour de plusieurs axes : identifier les finalités de l’open data des décisions de justice, articuler cette diffusion des décisions de justice avec le respect des droits fondamentaux, déterminer l’étendue de l’anonymisation des décisions de justice et arrêter les vecteurs les plus pertinents de mise à disposition du public des décisions de justice.

    La commission Cadiet était composée d’un membre du Conseil d’État, d’un membre de la Cour de cassation, d’un représentant du Conseil national des barreaux, d’un représentant de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, d’un premier président de cour d’appel, d’un procureur général, d’un président de tribunal de grande instance, d’un procureur de la République, d’un représentant des cours administratives d’appel et d’un représentant des tribunaux administratifs.

    Le professeur Cadiet a remis le 9 janvier dernier au Garde des Sceaux le rapport de la commission, lequel vient d’être rendu public.

     

    Quels sont les défis de l’Open Data des décisions de justice ?

    Mettre à disposition du public l’ensemble des décisions de justice rendues en France participe à n’en pas douter à la diffusion du droit et, partant, à sa connaissance par le plus grand nombre. C’est un moyen d’assurer une meilleure accessibilité du droit, comme le prévoyait la loi Le Maire. L’enjeu est de taille. La commission Cadiet l’a du reste parfaitement isolé : l’Open Data s’inscrit dans une perspective d’amélioration de la connaissance, non seulement du droit, mais encore de la justice.

    La gratuité est également un point névralgique. La commission a souligné le risque d’une marchandisation du secteur, laquelle poserait la question « de la fiabilité et de la neutralité des réponses ainsi sélectionnées et mises à disposition ». La transparence des algorithmes soulève notamment quelques inquiétudes. On a donc préféré une mise à disposition intégrale, gratuite et étatique à une mise en ligne partielle et commerciale.

    Par delà ces questions, la difficulté tient en ce qu’une décision de justice est un document singulier à bien des égards. En raison de sa source, l’autorité juridictionnelle, mais aussi par son objet, les droits des justiciables. Sa diffusion ne peut se faire que dans un cadre particulier.

    A ce jour, il n’est procédé qu’à une diffusion réduite des décisions de justice. Le site Legifrance.gouv.fr publie ainsi les décisions du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation, et une sélection de décisions du fond, supposées présenter un intérêt particulier. La loi Le Maire invite à faire sauter ces digues : seront à l’avenir diffusées toutes les décisions de justice, sans autre réserve que le respect du droit à la vie privée et, pour les décisions rendues par les juridictions de l’ordre judiciaire, des règles régissant la publicité et l’accès aux décisions.

    Parmi les défis posés par l’Open Data, la commission Cadiet a notamment identifié la sensibilité des données mises en ligne, en ce qu’elles peuvent révéler « l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale », ou en ce qu’elles sont des

    « données génétiques, des données biométriques, des données concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle ». Elle s’est également montrée sensible à la diffusion des données relatives aux infractions et condamnations pénales, lesquelles peuvent conduire à une « mise au pilori électronique » ou permettre le développement de techniques de profilage pour analyser et prédire des éléments concernant le rendement au travail, la situation économique, la santé, les préférences personnelles, intérêts… d’une personne.

    La commission a également souligné le risque de réidentification des personnes malgré l’anonymisation des décisions, notamment via des croisements de données et métadonnées.

    Au surplus, le risque d’atteinte au secret des affaires ne peut être écarté. Pour la commission Cadiet, « la mise en œuvre de la diffusion au public des décisions de justice devra […] reposer sur un équilibre entre la logique d’ouverture des données […] et celle de protection, notamment du secret des affaires, afin de prévenir certaines stratégies d’intelligence économique pouvant viser les entreprises implantées sur le territoire français ».

     

    Quelles sont les principales recommandations du rapport Cadiet ?

    Le rapport Cadiet émet 20 recommandations. Parmi celles-ci, on peut retenir notamment :

     

    • Pilotage : on confie aux juridictions dites « suprêmes » (Cour de cassation et Conseil d’Etat) le pilotage des dispositifs de collecte automatisée des décisions de leur ordre de juridiction respectif, y compris celles des tribunaux de commerce pour l’ordre judiciaire, et la gestion des bases de données ainsi constituées (Recommandation n° 1) ;
    • Pseudonymisation : le rapport invite à définir un socle de règles essentielles de « pseudonymisation » des décisions par décret en Conseil d’Etat pris après avis de la CNIL. Il est d’ores et déjà acté que la seule suppression des noms et adresses des parties ne suffit pas (Recommandation n° 2). Il est prévu que la pseudonymisation ne porte pas seulement sur les parties et témoins au litige (Recommandation n° 5). La commission n’a pas tranché la question de l’anonymisation du nom des magistrats à l’origine de la décision. Il est enfin prévu que ce « socle » puisse être par la suite enrichi au gré des contributions de la CNIL, notamment eu égard au risque de réidentification (Recommandation n° 3).
    • Tribunaux de commerce : il est rappelé aux Tribunaux de commerce qu’ils sont également soumis aux règles de pseudonymisation et d’analyse du risque de réidentification (Recommandation n° 6) et qu’ils relèvent du pilotage de la Cour de cassation (Recommandation n° 1).
    • Justice prédictive : la commission entend réguler le recours aux nouveaux outils de justice dite prédictive, notamment par l’édiction d’une obligation de transparence des algorithmes, la mise en œuvre d’un contrôle (dit « souple ») par la puissance publique et l’adoption d’un dispositif de certification de qualité par un organisme indépendant (Recommandation n° 20).

     

     

     

    Agrégé des Facultés de Droit, Louis Thibierge est Professeur à l’Université Aix-Marseille et Membre du Centre de Droit Economique de l’Université Aix-Marseille.

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