Auteur : Benjamin Dors, associé
Dans un contexte d’incertitude géopolitique et économique, marqué par une constante augmentation des litiges transfrontaliers, il est plus que jamais essentiel que les créanciers européens puissent s’appuyer sur des outils clairs, simples et harmonisés pour le recouvrement de leurs créances à travers les Etats membres.
Un de ces outils est l’Ordonnance Européenne de Saisie Conservatoire des Comptes Bancaires (OESC), dont le but est de faciliter la saisie des fonds détenus sur les comptes bancaires situés dans l’UE, afin de garantir le recouvrement des créances en matière civile et commerciale.
En dépit de son potentiel d’uniformisation de l’exécution transfrontalière, favorisant une plus grande intégration du système judiciaire européen, l’OESC reste relativement méconnue et sous-utilisée, dix ans après son adoption.
Cet article explore le cadre juridique et les spécificités procédurales de cet outil sous-estimé, qui pourrait s’avérer très utile pour les praticiens du contentieux international.
Contexte
L’OESC a été conçue par le législateur européen pour répondre aux défis posés par la fragmentation des procédures nationales visant à obtenir des mesures conservatoires, telles que les ordonnances de saisie des comptes bancaires.
Avant son introduction, les créanciers se heurtaient, en effet, à d’importants obstacles pour sécuriser leurs créances au-delà des frontières, les procédures nationales étant relativement disparates en termes de conditions et d’efficacité.
Ces efforts ont abouti à l’adoption du Règlement 655/2014 le 15 mai 2014 (le « Règlement OESC »)[1], entré en vigueur en janvier 2017, qui a instauré une procédure uniforme de saisie des comptes bancaires dans les litiges transfrontaliers au sein des différents États membres de l’Union européenne, à l’exception du Danemark.
Portée et Application
L’OESC s'applique aux créances pécuniaires en matière civile et commerciale dans les litiges transfrontaliers, quelle que soit la nature de la juridiction concernée.
Le Règlement définit le « litige transfrontalier » comme celui dans lequel le compte bancaire devant être saisi est tenu dans un Etat membre autre que celui de la juridiction saisie de la demande d’OESC ou que celui dans lequel le créancier est domicilié[2].
Le Règlement exclut cependant, certains domaines tels que les régimes matrimoniaux, les successions, les procédures d’insolvabilité, la sécurité sociale ou encore l’arbitrage[3].
Il convient de noter que l’OESC est conçue comme un moyen supplémentaire et facultatif pour le créancier, qui reste libre de recourir à toute autre procédure pour obtenir une mesure équivalente en vertu du droit national.
Compétence
La compétence pour délivrer une OESC est déterminée par l’article 6 du Règlement, qui distingue plusieurs hypothèses :
Si le créancier n’a pas encore obtenu de jugement, de transaction judiciaire ou d’acte authentique, la compétence revient aux juridictions de l’État membre ayant compétence pour statuer sur le fond de l’affaire[4].
Si le créancier a déjà obtenu un jugement ou une transaction judiciaire, la compétence pour délivrer une OESC relative à la créance visée dans le jugement ou la transaction appartient aux juridictions de l’État membre dans lequel le jugement a été rendu ou la transaction judiciaire approuvée ou conclue[5].
Pour les actes authentiques, la compétence est attribuée aux juridictions désignées par la loi de l’Etat membre où l’acte a été établi[6].
Si le débiteur est un consommateur, une protection spécifique est prévue, la compétence étant alors exclusivement attribuée aux juridictions de l’Etat membre où le consommateur est domicilié[7].
Conditions de délivrance d’une OESC
La procédure OESC commence par le dépôt d’une demande non contradictoire (ex parte) par le créancier auprès de la juridiction compétente.
Les conditions de délivrance de l’OESC varient selon que le créancier a déjà obtenu un jugement, une transaction judiciaire ou un acte authentique.
Dans tous les cas, le créancier doit fournir des preuves suffisantes pour convaincre le juge qu’il est urgent de délivrer une OESC, en démontrant qu’il existe un risque réel qu’à défaut d’une telle mesure, le recouvrement ultérieur de sa créance contre le débiteur soit compromis ou sensiblement plus difficile[8].
Si le créancier n’a pas encore obtenu de jugement, il doit également apporter des preuves suffisantes pour convaincre la juridiction qu’il sera probablement fait droit à sa demande au fond contre le débiteur[9].
La demande d’OESC doit contenir des informations détaillées sur le créancier, le débiteur et le(s) compte(s) bancaire(s) à saisir, ainsi que des éléments de preuve justifiant la créance et la nécessité de la mesure conservatoire[10].
La juridiction évalue la demande sur la base des preuves fournies et peut, si nécessaire, demander des informations complémentaires[11].
Si le créancier sollicite une OESC avant d’engager une procédure au fond, il doit initier cette procédure et en apporter la preuve à la juridiction dans undélai de 30 jours à compter du dépôt de la demande ou dans un délai de 14 jours à compter de la délivrance de l’ordonnance, si cette date est postérieure[12].
Procédure non contradictoire (Ex Parte)
Pour assurer l’effet de surprise, qui est essentiel à l’efficacité de l’OESC, le débiteur n’est ni notifié de la demande, ni entendu avant la délivrance de l’ordonnance[13].
Le caractère non contradictoire de cette procédure est toutefois contrebalancé par des garde-fous visant à prévenir les abus, notamment l’obligation pour le créancier de fournir une garantie destinée à indemniser le débiteur en cas de préjudice subi en raison de l’ordonnance. La juridiction dispose d’un pouvoir d’appréciation pour fixer le montant et la forme de cette garantie, qui peut être levée dans des circonstances exceptionnelles[14].
Procédure d’obtention des informations relatives aux comptes bancaires
Le Règlement OESC permet au créancier, dans certaines circonstances, d’obtenir les informations nécessaires à l’identification des comptes bancaires du débiteur.
Lorsqu’un créancier a obtenu un jugement exécutoire dans un État membre, et a des raisons de croire que le débiteur détient un ou plusieurs comptes dans une banque d’un autre État membre, mais qu’il ne connaît ni le nom et/ou l’adresse de la banque, ni l’IBAN, le BIC ou tout autre numéro permettant d’identifier la banque, il peut demander à la juridiction saisie de la demande d’OESC d’ordonner à l’autorité chargée de l’obtention d’informations de l’État membre d’exécution d’obtenir les informations nécessaires pour identifier le(s) compte(s) du débiteur[15].
Pour les créanciers dotés d’un titre qui n’est pas encore exécutoire, les conditions sont plus strictes. Ils doivent démontrer (i) que le montant à saisir est important, et (ii) qu’il est urgent d’obtenir ces informations, en raison d’un risque que, sans elles, l’exécution ultérieure de leur créance soit compromise, ce qui pourrait entraîner une détérioration significative de leur situation financière.
Cette distinction vise à éviter toute utilisation abusive de la procédure d’OESC à des fins spéculatives.
Mise en œuvre et exécution
Une fois délivrée, l’OESC est reconnue et exécutoire dans tous les États membres sans qu’une procédure spéciale soit requise[16]. Elle devra être mise en œuvre conformément aux procédures applicables à l’exécution des mesures conservatoires équivalentes dans l’État membre d’exécution[17].
La banque doit exécuter l’ordonnance sans délai, soit en bloquant le montant saisi, soit en le transférant sur un compte dédié[18]. Elle est également tenue de déclarer l’étendue des fonds effectivement saisis[19]. Toute responsabilité de la banque en cas de non-respect de ses obligations en vertu du Règlement est régie par la loi de l’État membre d’exécution[20].
Une fois l’OESC délivrée, elle doit être notifiée au débiteur dans un délai court, en utilisant l’un des modes de signification ou de notification prévus à l’article 28 du Règlement. Cette notification doit en effet intervenir dans les trois jours ouvrables suivant la réception de la déclaration de la banque ou de l’entité responsable de l’exécution, indiquant que les montants ont été saisis.
L’OESC bénéficie du même rang (le cas échéant) qu’une ordonnance nationale équivalente dans l’État membre d’exécution[21].
Voies de recours et Garanties
Le Règlement OESC prévoit plusieurs garanties pour protéger les droits du débiteur, qui peut contester l’ordonnance elle-même et/ou son exécution.
Le débiteur peut contester l’ordonnance pour divers motifs, énoncés aux articles 33 et s., notamment : non-respect des conditions ou exigences du Règlement, absence de notification de l’ordonnance dans le délai prescrit, montants saisis excédant le montant de l’ordonnance et non libérés en temps voulu, créance déjà payée en tout ou en partie, jugement sur le fond rejetant la créance, etc.
L’exécution de l’OESC peut également être contestée, conformément aux dispositions de l’article 34. Tel est, par exemple, le cas si le compte saisi est exclu du champ d’application du Règlement ou si l’exécution du jugement que le créancier cherchait à garantir par l’OESC a été refusée dans l’État membre d’exécution ou suspendue dans l’État membre d’origine.
En outre, le débiteur peut demander la mainlevée des fonds saisis en fournissant une sûreté ou une garantie alternative[22].
Le Règlement prévoit également la responsabilité du créancier en cas de préjudice causé par une OESC résultant d’une faute, avec une présomption de faute dans certains cas[23].
Lorsque le recours vise l’ordonnance elle-même, il doit être adressé à la juridiction compétente de l’État membre d’origine[24]. En revanche, si le recours porte sur l’exécution de l’ordonnance, il doit être adressé à la juridiction compétente (ou à l’autorité d’exécution compétente, le cas échéant) de l’État membre d’exécution[25].
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Bien que sous-estimée, l’OESC représente une avancée majeure vers l’harmonisation du recouvrement transfrontalier des créances entre les États membres. À mesure que l’Union européenne évolue, l’avenir dira si cet outil finira par répondre aux attentes placées en lui et s’il jouera véritablement un rôle central dans la promotion d’un environnement juridique plus intégré et efficace, tant pour les créanciers que pour les débiteurs européens.
[1] Règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil n° 655/2014 du 15 mai 2014 portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale.
[2] Règlement OESC – Article 3.
[3] Règlement OESC – Article 2.
[4] Règlement OESC – Article 6(1).
[5] Règlement OESC – Article 6(3).
[6] Règlement OESC – Article 6(4).
[7] Règlement OESC – Article 6(2).
[8] Règlement OESC – Article 7(1).
[9] Règlement OESC – Article 7(2).
[10] Règlement OESC – Article 8.
[11] Règlement OESC – Article 9.
[12] Règlement OESC – Article 10.
[13] Règlement OESC – Article 11.
[14] Règlement OESC – Article 12.
[15] Règlement OESC – Article 14.
[16] Règlement OESC – Article 22.
[17] Règlement OESC – Article 23.
[18] Règlement OESC – Article 24.
[19] Règlement OESC – Article 25.
[20] Règlement OESC – Article 26.
[21] Règlement OESC – Article 32.
[22] Règlement OESC – Article 38.
[23] Règlement OESC – Article 13.
[24] Règlement OESC – Article 33.
[25] Règlement OESC – Article 34.